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20 ans plus tard, que sont les bébés devenus ?

Nathalie CHARPAK, Réjean TESSIER et l’équipe de la Fondation Mère Kangourous de Bogota présentent dans Pediatrics de décembre 2016, le résultat du suivi d’une cohorte initiée entre 1993 et 1996, de bébés bénéficiant de la Méthode Mère Kangourou ou des soins conventionnels en néonatologie.

Ces résultats avaient été présentés et commentés par les auteurs lors du 11ème congrès international du KMC à Trieste – Italie – en novembre 2016.

Un premier essai randomisé conduit entre 1993 et 1996, mené par la même équipe,  présentaient les premiers résultats à court terme,  publiés en 2001 dans Pediatrics qui montraient à 1 an :

  • un risque de décès plus faible pour les enfants en KMC, bien que la différence ne soit pas statistiquement significative,
  • une croissance du périmètre crânien plus rapide statistiquement significative chez les bébés KMC,
  • une durée d’hospitalisation plus courte pour les bébés KMC nés à moins de 1501g.
  • Le nombre d’infections étaient similaires dans les 2 groupes mais les bébés KMC souffraient d’infections moins sévères et ils étaient plus nombreux à être allaités à 3 mois d’âge corrigé. 

D’autres résultats à plus long terme publiés en 2003 dans Infant behaviour and development, par la même équipe, suggéraient

  • que le KMC fournissait un bénéfice bien que modeste pour le développement mental des enfants à 1 an,
  • qu’il était un moyen efficace d’améliorer l’environnement des soins au bébé, de créer une approche où les parents deviennent progressivement plus attentifs à leur bébé et plus sensibles et réagissent mieux à ses besoins, optimisant ainsi son développement, en améliorant leurs propres compétences parentales
  • et que le KMC favorisait une alliance entre les professionnels et les parents pour le meilleur développement possible du bébé.

En 2009, ils publiaient dans Acta Paediatrica, une étude montrant que les mères kangourous créaient un environnement plus stimulant et apportaient de meilleurs soins à leur bébé, positivement corrélés à l’implication du père dans les soins au bébé, et avec notamment une amélioration de l’environnement des enfants de sexe masculin. Le KMC apparaissait alors comme un excellent moyen d’augmenter la maturité de l’implication des parents dans le devenir de leur enfant.

charpak tessier méthode kangourou

En 2016, voici les résultats et le devenir de ces enfants, toujours en comparant le devenir des anciens bébés, qu’ils aient bénéficié de la Méthode Mère Kangourou ou des soins conventionnels.

494 bébés des 716 participants au premier essai randomisé contrôlé ont été retrouvé entre janvier 2013 et décembre 2014. Parmi eux 3 étaient décédés, 11 vivaient en dehors de Bogota et 39 ont refusé de participé cette fois ci à l’étude. Les 433 enfants restant furent randomisés pour le traitement et un poids de naissance inférieur ou égal à 1800g, et 264 sujets ( 61% des participants de poids de naissances < à 1801 g) furent ré-enrôlés.

Mortalité cumulée à 20 ans : Après ajustement pour l’âge gestationnel et le poids de naissance, il existe un effet protecteur du KMC vis à vis de la mortalité ( Odds Ratio 0,39 95% CI : 0,16-0,94, p=0,04)

QI à 20 ans : il n’existe pas de différence entre les moyennes des scores entre les sujets KMC et les autres. Cependant, les mesures à 6 mois, 12 mois et 20 ans montrent de légères mais significatives différences dans le sous groupe ayant présenté des examens neurologiques transitoires montrant à 6 mois une fragilité neurologique, en faveur du KMC.

Santé générale : l’état de santé général était identique entre les 2 groupes, excepté concernant l’hypothyroïdisme qui touchait 6,5% des sujets KMC contre seulement 0,8% des sujets contrôles. L’hypothyroïdisme était associé à une naissance par césarienne (p=0,04), à un admission en unité de soins intensifs ( p=0,03), à un poids de naissance inférieur ou égal à 1200g (p=0,02) et à un âge gestationnel à la naissance de moins de 32 SA (p=0,02), bébés le plus souvent représentés dans la cohorte KMC, et donc plus fragiles que leurs homologues contrôles.

Les examens neurologiques ont identifié des paralysies cérébrales avec la même fréquence dans les deux groupes mais avec plus de déficits fonctionnels dans le groupe contrôle.

Le diagnostic clinique d’une petite stature étaient prévalent dans les deux groupes de la même façon. Parmi les participants présentant un retard de croissance intra-utérin à la naissance, nés à terme ou prématurés, 47 % étaient petits à 20 ans.

Sur le plan visuel, les sujets KMC présentaient une acuité visuelle bilatérale faible, de façon plus fréquente que les sujets controles mais de façon non statistiquement significative.

Scolarité, niveau académique et antécédents scolaires

Les sujets KMC ont bénéficié de plus d’heures de présence en établissements pré-scolaires mais ont le même nombre d’heures de scolarité au même âge que les sujets contrôles. Quelqu’uns des sujets KMC ont été absents de l’école.

Le groupe contrôle a des scores significativement plus élevés en langage par rapport au groupe KMC à l’examen national colombien (p=0,02) et ils ont reçu d’avantage de thérapies de langage ( 21% vs 14,5% dans le groupe KMC)

Les scores pour les mathématiques différent également dans les 2 groupes : ils sont plus bas dans le groupe KMC, particulièrement pour les garçons nés avant 32 SA. Néanmoins, parmi les enfants souffrant de désordres neurosensoriels bilatéraux sévères, 6 du groupe KMC  ( 67%) ont réussi l’examen national contre 3 ans le groupe contrôle (33%).

Environnement familial et comportement social

Plus de sujets KMC vivent avec leurs parents (p=0,01). Le soutien du père dans les deux groupes est le même, mais son impact dépend du fait que le père est porté ou non en position kangourou au cours de la période néonatale. 3 des sous-échelles évaluant le contexte familial sont significativement plus élevées quand le père a porté l’enfant en positon kangourou avec une relation claire entre le soutien paternel à 1 an et la stabilité de la famille lorsque l’enfant a 20 ans. Les familles KMC sont plus dévouées envers leur enfant et cet effet déjà montré à 12 mois, est encore visible à 20 ans.

Les scores de Conners pour l’agressivité et l’hyperactivité et pour les relations sociales posant problème à l’âge adulte ( Adult Behavior Check List – ABCL ) sont plus faibles, dans le groupe KMC,  de façon importante, en particulier pour les mères les moins instruites, et ces enfants sont perçus comme ayant moins de comportements anti-sociaux ( Diagnostic ans Statistical Manual of Mental Disorders – DSM) que les sujets du groupe contrôle.

Résultats en neuro-imagerie

Les sujets KMC de poids de naissance inférieur à 1801 g ( n=264) et ayant présenté une bonne qualité à l’examen par Résonance Magnétique Nucléaire ( n=195), ont de façon significative de plus grands volumes de matière grise, de plus grands cortex cérébraux, et un noyau caudé gauche plus grand que les sujets du groupe contrôle. En appliquant une régression linéaire, la taille du noyau caudé gauche est clairement corrélée à l’index de fragilité à la naissance ( plus l’index est bas, plus grande est la taille), à la durée de la position kangourou ( plus la durée de kangourou est importante, plus grand est le noyau caudé gauche) et aux meilleurs résultats des tests pour la motricité fine à 20 ans ( meilleure est la performance, plus grande est la taille).

Discussion des résultats par les auteurs

Le groupe KMC a des anomalies  neurologiques légèrement moins sévères que le groupe contrôle, mais il est difficile de séparer les effets de la stimulation familiale des effets anatomiques ou fonctionnels de l’intervention KMC sur le cerveau. Le rôle prédictif de la croissance du périmètre crânien mesurée à la fin de la première année qui a bien été décrit par ailleurs, montre dans cette étude aussi une association entre croissance du PC et QI à 20 ans.

Les atteintes sensorielles (visuelles et auditives) et motrices (paralysies cérébrales)  sont comparables entre les 2 groupes, indiquant que le KMC ne protège pas les bébés de celles-ci. On a montré dans la littérature que ces atteintes sont fréquentes chez les bébés de très petits poids de naissance et que l’ictère néonatal sévère, les médicaments ototoxiques, l’hypoxie néonatale et l’environnement sonore des soins intensifs néonatals sont autant de facteurs de risques de pertes sensorielles et auditives pour ces enfants qui ont été hospitalisés dans une unité de soins intensifs d’un pays en voie de développement dans les années 90. Dans les deux groupes, les atteintes oculaires sont principalement la myopie et l’astigmatisme myopique et sont relatives aux rétinopathies du prématuré ayant ou non régressé, et à d’autres facteurs.

Les différences de niveau scolaires, et les résultats en mathématiques et en langage sont difficiles à expliquer. Les difficultés scolaires décrites chez le groupe KMC sont similaires à celles décrites par ailleurs chez les enfants prématurés : les bébés de très petits poids de naissance ont plus de difficultés en mathématiques indépendamment de leur QI. Les scores plus bas du groupe KMC sont confinés aux enfants nés les plus immatures, qui étaient plus nombreux dans le groupe KMC que dans le groupe contrôle.

A 20 ans, les sujets KMC, en particulier ceux issus des familles les plus pauvres, ont moins de conduites agressives et sont moins impulsifs et moins hyperactifs. Ils montrent moins de comportements anti-sociaux. L’intervention KMC modifie le comportement des mères les moins instruites en augmentant leur sensibilité aux besoins de leur bébé, qui deviennent aussi sensibles que les mères évoluant dans des environnements plus favorables.

Il est possible que l’accroissement de la taille du noyau caudé gauche chez les sujets KMC, noyau impliqué dans la motricité, soit le résultat d’une compensation de la prématurité les aidant à augmenter le volume des structures cérébrales. En effet, les activités quotidiennes au domicile ont un impact à long terme sur le développement de l’enfant. L’intervention KMC induit des changements familiaux sérieux, qui semblent réduire les disparités sociales et augmenter les opportunités pour l’enfant d’être stimulé et exposé à une grande variété d’expériences. L’intervention KMC semble motiver les familles à être plus orientées sur l’enfant. Les mères de l’intervention KMC pré-scolarisent leur enfant plus tôt et leur apporte un soutien qui est reflété dans des taux plus bas d’arrêt de scolarité.

La participation des pères a été reconnue depuis longtemps comme étant hautement positive pour le devenir social et cognitif de l’enfant. Or l’intervention KMC promeut l’implication du père dans les soins néonatals, qui affecte non seulement la structure familiale mais aussi l’environnement dans lequel grandit l’enfant. Dans les études à long terme, l’implication du père modifie les capacités cognitives des jeunes adultes.

En conclusion, cette étude sur le long terme pourrait apporter un soutien à la décision d’introduire l’intervention KMC pour réduire les désordres médicaux et psychologiques attribuables à la prématurité et au très petit poids de naissance. La période néonatale est une période sensible clé pour la maturation cérébrale et les relations d’attachement précoces. Cette étude suggère qu’à la fois la biologie et l’environnement ensemble pourrait moduler de façon puissance les voies du développement, jusqu’à l’âge adulte.

L’introduction du KMC, immédiatement après la période de soins intensifs, sans autre programme de soins de développement, motive les familles à devenir plus centrées sur l’enfant et raccourcit les périodes non optimales.
Les auteurs font l’hypothèse que ces résultats pourraient être encore plus significatifs si l’intervention KMC avait été introduite aussitôt que l’enfant aurait pu le tolérer, même en soins intensifs.

Auteur : Laurence GIRARD