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Dans une étude multicentrique observationnelle en France, qui parait ce mois-ci dans Acta Paediatrica, les auteurs ont souhaité comparer la morbi-mortalité néonatale des enfants nés avant 32 SA, suivant la politique du service, appliquée en ce qui concerne l’alimentation basée sur le propre lait de la mère du bébé, suivant qu’il soit donné pasteurisé ou donné cru (don direct) au bébé.

63 unités de soins néonatals intensifs ont pris part à l’étude :

  • 33 unités pasteurisent le propre lait de la mère avant de le donner au bébé né avant 32 SA et jusqu’à ce que il est atteint 33 SA d’âge corrigé : groupe « lait pasteurisé »
  • 30 unités ne le font pas : groupe « lait cru »

926 bébés prématurés ont été inclus dans la cohorte de l’étude, vivants au 7ème jour de vie, alors que 2 378 enfants qui n’ont jamais reçu du lait de leur propre mère au cours du premier mois, ou qui ont reçu du lait de donneuses de lactarium ou du lait de formule pour prématuré, ont été exclus de l’étude :

  • 636 dans le groupe « lait cru« 
  • 290 dans le groupe « lait pasteurisé« 

Le devenir des bébés a été évalué sur les points suivants :

  • Mortalité au cours de l’hospitalisation
  • Entérocolite ulcéro-nécrosante ( Stades II et III de la classification de Bell)
  • Bronchodysplasie pulmonaire modérée à sévère définie comme une nécessité de traitement par Oxygénothérapie pendant au moins 28 jours et / ou par pressions positives à 36 SA
  • Des infections tardives définies comme survenant à plus de 72h de la naissance avec des arguments cliniques et microbiologiques
  • le gain de poids depuis la naissance jusqu’à la sortie pour le domicile
  • la durée de l’hospitalisation en jours
  • la durée de l’alimentation parentérale et la durée de l’alimentation sur sonde naso-gastrique.

Les deux groupes de bébés étaient comparables pour la plupart de leur caractéristiques et les deux groupes de mères également.

Les résultats :

Après ajustement pour l’âge gestationnel, le poids de naissance (z-score), le centre, le syndrome de détresse respiratoire, la durée de ventilation mécanique et la présence d’une conseillère en lactation,  les résultats montrent une réduction significative du risque de bronchodysplasie avec un Odds Ratio ajusté (aOR) de 0,40, et un indice de confiance 95% de 0,27- 0,67 (p<0,001) dans le groupe « lait cru« . Une réduction du risque était également observé en rajoutant la variable d’utilisation d’acide nitrique en cas d’hyptension pulmonaire artérielle : aOR = 0,41 et indice de confiance de 95% de 0,24-0,71
Les autres variables confondantes telles que le genre, l’utilisation de corticoïdes ante-natals ou la caféine n’ont pas été significativement associés à la bronchodysplasie.

Il n’a pas été trouvé d’autres associations statistiquement significatives.

Les auteurs soulignent que l’allocation de groupes pour les bébés s’est faite en fonction de la politique déclarée du service en ce qui concerne le lait maternel pasteurisé ou cru, et non sur un choix individualisé, et que les quantités de lait maternel administré à l’enfant, ou d’autres laits, reçues chaque jour par le bébé n’ont pas été précisées et notées de façon fiable.

Cependant en dépit du fait qu’il s’agisse d’une étude observationnelle; il n’y a que peu de différence sur les caractéristiques de base des bébés et des mères entre les groupes. Néanmoins, ils ne sont pas strictement équivalents en terme de tolérance digestive au cours de la première semaine, puisque les quantités apportées par voie entérale à 7 jours de vie étaient plus importantes de façon significative dans le groupe lait pasteurisé et la proportion d’enfants ayant un transit intestinal normal à 7 jours de vie était plus importante également dans le groupe lait pasteurisé.

Il apparait également que près de la moitié des unités de soins intensifs néonatales françaises ne suivent pas les recommandations actuelles (AFSSA 2005) d’apporter du lait pasteurisé jusqu’à 32 SA/ 1 500 g  à l’enfant prématuré en vue de le protéger d’une infection à CMV. De nouvelles recommandations sont en cours de rédaction, et d’ores et déjà le ministère de la santé belge a publié un avis allant dans le sens d’abaisser cette barre à 28 SA / 1 000 g en juin 2016, alors que l’Académie Américaine de Pédiatrie recommandait dès 2012,  que le lait de la mère frais soit donné en routine à son bébé prématuré.

L’effet du lait maternel cru sur le risque de bronchodysplasie peut s’expliquer par le fait que le lait cru possède des propriétés anti-oxydantes altérées par la pasteurisation : Vitamines C et E, enzymes, qui sont connues pour avec des effets puissants contre le stress oxydatif. Ces substances pourraient réduire le risque de bronchodysplasie.

La conclusion des auteurs :

Les bénéfices cliniques du lait maternel donné cru en comparaison au lait pasteurisé n’ont pas encore fait l’objet de beaucoup d’attention. Cette étude montre que recevoir du lait cru ou pasteurisé lorsqu’on nait prématurément dépend du lieu où l’on nait. Une politique de service encourageant le don direct, de lait cru de la propre mère à son bébé n’augmente pas la morbidité ou mortalité hospitalière. La seule différence retrouvée concerne la réduction du risque de bronchodysplasie et elle est en faveur du lait cru. Le défi aujourd’hui, va donc consister à harmoniser les politiques dans les différentes unités néonatales françaises et poursuivre les recherches.

On pourrait rajouter …

…un bénéfice pour les mères qui lorsqu’elles tirent leur lait sont immédiatement récompensées de leurs efforts, puisqu’il peut être alors donné à leur bébé directement. Elles sont ainsi assurées que leur bébé reçoit bien leur lait; ce qui pourrait grandement les motiver à le faire, car dans de nombreux centres, les bébés reçoivent du lait de lactarium dit « de pool » où les laits de plusieurs donneuses sont mélangés, avant de recevoir le lait de sa propre mère pasteurisé, à cause des délais de traitement du lait maternel par le lactarium.

Auteur : Laurence GIRARD