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Dans le très sérieux et respectable British Medical Journal du 5 décembre 2018, le Dr Chris Van Tulleken inaugure sa chronique ainsi :

« Et si l’allergie aux protéines du lait de vache était le cheval de Troie à 40 milliards d’euros utilisé par l’industrie pour forger une relation durable avec les professionnels de santé du monde entier ». Il rajoute que les experts pensent que la relation entre les professionnels et l’industrie est préjudiciable à la santé des mères et des bébés. Comment est-ce possible ?  A cause d’un réseau de liens d’intérêts personnels et institutionnels, s’étendant depuis la recherche clinique jusqu’aux politiques de santé et aux recommandations, répond le Dr Chris Van Tulleken.

En effet, explique-t-il,  en 10 ans, entre 2006 et 2016, la consommation de laits de formules spéciaux pour enfants présentant une allergie aux PLV a augmenté de près de 500 % au Royaume Uni, tandis que la dépense pour le système de santé britannique – NHS – a augmenté de près de 700%. Les données épidémiologiques ne montrent pourtant pas une telle augmentation de la prévalence des allergies aux PLV. Mais les liens entre l’industrie et la recherche, les recommandations, la formation médicale et le grand public ont poussé les professionnels et les parents à une plus grande attention aux allergies aux protéines du LV, amenant à un surdiagnostic.

Le Dr Van Tulleken rappelle que les premières recommandations internationales sur la prévention de l’allergie aux PLV ont été rendues publiques en 2007, suivies de nouvelles recommandations en 2010.

Dans ces recommandations et celles qui ont suivi, plusieurs auteurs ont déclaré des liens d’intérêt avec l’industrie :

  • 5 des 11 auteurs des recommandations 2011 du National Institute for Health and Care Excellence – NICE – ,
  • 10 des 12 auteurs des recommandations de 2012 de la société européenne de nutrition, gastroenterologie et hépatologie ESPGHAN,
  • tous les 5 auteurs des recommandations des recommandations britanniques de prévention à l’allergie aux PLV –MAP – en 2013,
  • La totalité des 12 auteurs, des recommandations iMAP de 2017.

Concernant la formation médicale et celles des professionnels de santé, le Pr Van Tulleken alerte sur les fonds importants émanant de l’industrie, reçus par certaines sociétés savantes et un grand nombre d’unités de néonatologie britanniques.

Au Royaume Uni, de nombreux hôpitaux sont récipiendaires du Label Initiative pour un Hôpital ami des bébés – IHAB ou BFHI en anglais. Pourtant de nombreuses prescriptions médicales de laits partiellement – dits hypoallergéniques, ou en totalité hydrolysés y sont effectuées. En effet, selon le Pr Van Tulleken, la croyance dans le fait que les laits « spéciaux » échappent au respect du code de commercialisation de l’OMS est très répandue, permettant de nourrir des liens constants et rémunérateurs avec l’industrie.

De plus, souligne le Dr Van Tulleken, les symptômes d’une allergie légère à modérée, telle que la définissent les lignes directrices de l’iMAP : irritabilité et coliques, vomissement, reflux, refus ou aversion, selles liquides ou plus fréquentes, constipation, flatulences douloureuses, rashes cutanés, persistance modérée d’une dermite atopique …. Conduisent parents et professionnels à évoquer très fréquemment une allergie aux PLV, bien que ces symptômes ne soient pas spécifiques et qu’il « soit vraiment difficile de trouver un enfant ne présentant aucun de ces symptômes ». De nombreuses mères allaitantes ont elles-mêmes évincé de leur alimentation toutes les protéines susceptibles d’être responsables des symptômes reconnus sur leur propre bébé à la lecture des lignes directrices de l’iMAP, largement relayées par l’industrie…. Sur des sites internet dédiés à l’allergie aux PLV !

Amy Brown, professeur de santé publique infantile, signale elle, par ailleurs, que certaines mères allaitantes s’infligent du coup un régime de privation de produits laitiers si drastique, que leur capacité à allaiter s’en trouve altérer et que cela les conduit à arrêter prématurément d’allaiter. Amy Brown rajoute que les raisons les plus couramment évoquées par la mère pour arrêter l’allaitement sont que son lait est insuffisant en qualité ou en quantité et que la promotion de l’allergie du PLV vers le grand public par l’industrie joue un rôle important dans l’anxiété des mères.

Une autre experte, travaillant au sein d’une banque de lait britannique, Natalie Shenker, témoigne recevoir chaque semaine plusieurs appels téléphoniques de mères allaitantes, qui souhaitent donner leur lait à la banque de lait, mais qui ayant diagnostiqué une allergie aux PLV chez leur bébé, le nourrissent désormais avec un lait de formule spécial, et rajoute « ne pas pouvoir allaiter pour une femme qui le souhaite, est le facteur de risques le plus élevé pour la dépression postnatale« .

 

Le Dr Chris Van Tulleken en appelle à l’indépendance des professionnels de santé, des institutions, des sociétés savantes et des différents comités concernant la nutrition du jeune enfant, vis à vis de l’industrie. 

Auteur : Laurence GIRARD