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Cette étude parue dans Scientific reports /  Nature en Mars 2016 visait a évaluer les conséquences du bruit sur les compétences tactiles précoces de l’enfant prématuré (entre 29 et 35 SA), et a été menée par une équipe française (CHU Grenoble Alpes).
Les compétences tactiles précoces ont déjà bien démontrées par la même équipe (Lejeune 2014, Lejeune 2012Marcus 2012, Berne-Audéoud 2010 ), qui a également récemment analysé les niveaux sonores à l’intérieur des incubateurs en regard des recommandations internationales ( Parra 2017).

Le contexte :

Il a été largement démontré que les enfants nés avant 37 SA sont à risques de difficultés de développement, à cause de la prématurité en elle-même mais aussi du fait de l’environnement sensoriel dans lequel ils sont placés après la naissance. Une meilleure compréhension de l’influence d’une exposition précoce au milieu hospitalier et ses stimulations inhérentes pourrait permettre d’améliorer le devenir neurologique de ces enfants. Les programmes de soins de développement tels que le NIDCAP, visent à mieux contrôler l’environnement sensoriel du prématuré et il a été montré qu’il avait des effets positifs sur le développement cérébral du nouveau-né prématuré.

Les structures responsables de l’audition sont présentes dès la 15ème semaine de gestation, mais la fonction cochléaire ne devient effective qu’à partir de la 24ème semaine. Il a été bien montré dans le modèle animal que des sons de fréquence élevée ( sons aigus) perturbe le développement des connections neuronales dans le système nerveux central auditif. De plus, les mesures qui ont été faites montrent que les bébés prématurés sont très fréquemment exposés à des pics sonores largement supérieurs à ceux recommandés par l’AAP (AAP 2009). Ainsi l’exposition des prématurés à des bruits de haute fréquence, alors que le système auditif est encore immature, pourrait conduite à altérer le développement de l’audition et induire des troubles du langage et de l’attention. Toutefois aucune étude n’a exploré comment les bruits pouvaient interférer avec les autres modalités sensorielles, notamment le tact.

Les récepteurs tactiles sont présents depuis la 7ème semaine de gestation et se développent selon une progression céphalo-caudale jusqu’à la 20ème semaine. Le « grasping » à la naissance est bien connu comme étant un réflexe en réponse à la stimulation de la paume de la main. Le « grasping » n’est toutefois pas seulement un pur reflex. Des études récentes ayant analysé les compétences manuelles tactiles d’enfants prématurés ont révélé qu’ils étaient capables de mémoriser une information tactile spécifique à l’objet tenu : prisme ou cylindre, puis de la discriminer. Cette compétence a été bien observé à partir de la 28ème SA.

Cette étude, prospective et observationnelle, visait à évaluer d’une part, la relation entre un bruit introduit quotidiennement – une alarme de pousse seringue – et  les compétences tactiles d’habituation ( et donc de mémorisation ) de l’enfant prématuré à partir de 29 SA, et d’autre part la relation entre le bruit et les compétences discriminatoires tactiles du prématuré.

Les résultats  et la discussion :
63 enfants prématurés (31 filles et 32 garçons) nés entre 24 et 34 SA, âgés au moment de l’étude de 29 à 35 SA, ont été assignés à deux conditions sonores différentes : silence (26 bébés) et bruit (37 bébés), 22 bébés ayant été exclus au moment de l’étude après une période d’essai pour cause de somnolence, de sommeil ou de pleurs. Tous les bébés occupaient des chambres individuelles au sein du service de soins intensifs.

Il existe une influence délétère de l’alarme du pousse seringue électrique sur les capacités d’habituation tactile des bébés. Ces enfants semblaient avoir d’importantes difficultés à gérer leurs apprentissages tactiles quand l’alarme du pousse seringue retentissait. En effet, les enfants qui réussissaient à s’habituer à l’objet avaient besoin de plus de temps et d’essais pour atteindre les critères d’habituation qu’en absence d’alarme. De plus, l’exposition à l’alarme du pousse seringue électrique semble altérer spécifiquement la capacité de mémorisation tactile des prématurés et ne pouvait pas s’expliquer par la différence d’âge gestationnel, de genre, d’âge post-natal, de poids de naissance, de poids au moment de l’étude ou de leurs conditions médicales.

L’intermodalité sensorielle est essentielle pour comprendre notre environnement. Tous les systèmes sensoriels sont interconnectés dans des voies cérébrales complexes, et des études en imagerie cérébrale ont montré que les différents voies corticales ne sont pas spécifiques à un seul sens, mais pourraient être modulées par des signaux sensoriels émanant d’autres systèmes sensoriels.
Les résultats de cette étude révèlent une communication fonctionnelle précoce entre les voies sensorielles auditive et tactile, puisque entendre l’alarme du pousse seringue électrique interfère avec les ressources attentionnelles nécessaires aux processus de discrimination et d’habituation manuels tactiles. Elle montre également pour la première fois que l’alarme d’un pousse seringue électrique génère une désorganisation fonctionnelle chez l’enfant prématuré.

Auteur : Laurence GIRARD