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Dans une étude observationnelle rétrospective, menée dans une maternité française entre Janvier et Juillet 2016, les auteurs ont voulu savoir si les pratiques en salle de naissance, notamment le taux de remplissage maternel à l’aide de liquides macromoléculaires ou non, au cours d’un accouchement sous analgésie péridurale, influait sur la perte de poids des nouveau-nés, tous allaités.

En effet, il a déjà été établi que le passage transplacentaire entre la mère et son fœtus au cours de l’accouchement assisté par péridurale pouvait influé sur la perte de poids néonatale, et ce de façon proportionnelle au degré de « remplissage liquidien » utilisé au cours de l’accouchement; ce remplissage étant nécessaire pour contre-balancer les effets vasodilateurs et potentiellement délétères des anesthésiques utilisés au cours de la péridurale. Bertini & al. avaient pu montré en 2015, que lors d’un accouchement strictement physiologique (grossesse physiologique, terme supérieur à 39 SA, accouchement eutocique donc sans péridurale, allaitement exclusif), aucun nouveau-né sur les 1760 bébés monitorés toutes les 12 heures pendant les 72 premières heures de vie, n’avait connu de perte de poids supérieure à 10%. Dans nos maternités, la perte de poids néonatale supérieure à 10% engendre le plus souvent une administration de compléments à l’aide de substituts du lait maternel chez les bébés allaités. La question de la pertinence de ces compléments devant toute perte de poids néonatale supérieure à 10% est un des questionnements les plus fréquents en suite de couches. L’Académie américaine de pédiatrie recommande par ailleurs de se préoccuper de l’allaitement, non nécessairement de compléter, devant toute perte de poids néonatale supérieure à 7% à J3

150 dossiers de nouveau-nés, nés après 36SA+6, tous en bonne santé, singletons, de poids moyen de 3 390 g+/- 445 ont été inclus dans l’étude. Les mères avaient reçu en moyenne au cours du travail 1280 ml +/- 841 de liquides par voie intraveineuse et pour 14% d’entre elles, plus de 2500 ml. La nature de ces liquides a été classée en 3 catégories : 53,3% de seules macromolécules (Ringer Lactate®), 25,3% de Ringer Lactate® et de Bionolyte G5 et 21,3% d’autres solutés (chlorure de potassium, …).

  • La durée du travail et l’utilisation d’une analgésie par péridurale ont été significativement associées à une augmentation du volume liquidien injecté par voie intra-veineuse au cours du travail.
  • La césarienne en urgence au cours du travail était significativement associée à une augmentation du volume liquidien injecté par voie intra-veineuse au cours du travail par comparaison avec un accouchement voie basse.
  • L’administration d’ocytociques au cours du travail était la condition la plus significativement associée à une augmentation des volumes liquidiens injectés au cours du travail : OR 7,05(95% CI 0,24-0,39, p=0,001)

Les dossiers ont été divisés en 2 groupes : les mères ayant reçu moins ou plus de 1 500 ml de liquides intraveineux au cours du travail.

Les résultats montrent que :

  • Les nouveau-nés de mères ayant reçu un volume liquidien supérieur ou égal à 1 500 ml, présentaient une perte de poids significativement (p<0,001) plus élevée, au cours des 48 premières heures de vie, que ceux nés de mères ayant reçu moins de 1 500 ml par voie intraveineuse au cours du travail, tous sexes confondus.
  • Le risque de présenter une perte de poids néonatale supérieure à 8% au cours des 3 premiers jours de vie étaient plus élevé pour les bébés nés de mères ayant reçu plus de 1 500 ml et il existe une corrélation significative entre remplissage maternel au cours du travail et perte de poids au 3ème jour de vie (r=-0,0391) ainsi qu’au 4ème jour de vie (r=-0,0549)
  • Tous les bébés dont les mères avaient reçu plus de 2 500 ml de remplissage intraveineux au cours du travail, montraient une perte de poids sans récupération du poids de naissance au cours du séjour en maternité et la très grande majorité des bébés dont les mères avaient reçu 2 500 ml.

Les auteurs suggèrent que la perte de poids néonatale ne devrait pas en soit être le seul déclencheur de la décision d’apporter des compléments au nouveau-né allaité, alors que dans leur maternité, elle est responsable plus de la moitié du temps de la prise de décision de compléments sur indication médicale.

Il pourrait être utile de se pencher sur l’adaptation d’une pratique mis en place au 19ème siècle pour des raisons légitimes, la pesée quotidienne, aux pratiques obstétricales du 20ème siècle, l’analgésie péridurale, et aux leçons du 21éme sicècle tirées de l’expérience.

Une autre question peut également se poser concernant la santé et le bien-être maternel, outre le fait qu’il soit émotionnellement difficile pour la mère d’être « récompensée » de ses efforts à allaiter son bébé par une perte de poids néonatale : comment la pompe cardiaque maternelle, ainsi que les autres organes, supportent-ils une inflation de la masse volémique soudaine, et en quoi cette inflation retentit-elle sur la capacité physiologique des mères à récupérer de leur accouchement et à être disponibles pour leur nouveau-né ?

Auteur : Laurence GIRARD

Source photographique : Exposition « Naissances » – Musée de l’Homme

Pesée matinale à l’hôtel Dieu à Paris vers 1920