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Dans une publication parue en février 2017 dans Depress Anxiety, intitulée  « Association of peripartum synthetic oxytocin administration and depressive and anxiety disorders within the first post-partum year« , une équipe du Massachusetts a souhaité examiner la relation entre l’utilisation d’oxytocine – ocytocine synthétique – au cours du travail, et le développement au cours de l’année qui suit de désordres dépressifs ou anxieux.

Leur hypothèse était que, vu les effets bénéfiques de l’oxytocine, notamment sur les patients autistes ou schizophrènes, les femmes ayant reçu de l’oxytocine au cours du per-partum, présentaient un risque réduit de désordres anxieux ou de dépression dans l’année suivant leur accouchement.

Depuis 2015, le Collège des Gynécologues Obstétriciens Américains – ACOG – recommande de dépister le risque de dépression afin de prendre en charge de façon efficace les femmes pouvant en souffrir. En effet, la dépression maternelle peut être létale en conduisant la femme au suicide, et retentit défavorablement sur le développement de l’enfant, qui peut présenter des retards de développement psycho-moteur, des capacités cognitives réduites et des troubles du comportement à long terme, et à court terme, elle est associée à une irritabilité importante du bébé, un sommeil perturbé et des difficultés d’allaitement. Cependant la physiopathologie de la dépression du post-partum est encore peu comprise, se basant sur des études vétérinaires en petit nombre, qui ont cependant montré que l’ocytocine – hormone naturelle – pouvait être un marqueur biologique des désordres anxieux ou dépressifs. Des études cliniques chez l’être humain ont quant à elles montré, qu’un bas taux d’ocytocine est corrélé à la dépression du post-partum, tandis que des analyses génétiques indiquent que la dépression du post-partum peut être médiée par des variations épigénétiques de l’expression des récepteurs à ocytocine.

L’étude a porté sur 46 732 accouchements qui se sont produits entre 2005 et 2014 :

  • 37 048 accouchement sans utilisation d’ocytocine synthétique au cours du travail et 9 684 accouchements avec utilisation d’ocytocine de synthèse.
  • Les femmes incluses dans l’étude avaient toutes accouché d’un enfant unique vivant.
  • Les données concernant la dépression et l’anxiété incluait tout diagnostic ou toute prescription d’un médicament anxiolytique ou anti-dépresseur, avant la grossesse, au cours de la grossesse, et au cours de l’année suivant l’accouchement.
  • Au cours des 2 semaines situées autour du moment où elles avaient accouché, l’exposition à l’ocytocine de synthèse a été comptabilisée incluant tests de contractions , induction ou augmentation du travail, prévention et traitement de l’hémorragie de la délivrance

syntocinon

 

Principaux résultats :

Contrairement à l’hypothèse de départ, il existe une association positive, et non l’inverse,  entre utilisation d’ocytocine synthétique au cours du travail et risque de présenter des troubles anxieux ou une dépression dans la première année suivant l’accouchement.

  • Les femmes présentant des antécédents de dépression ou de troubles anxieux avant la grossesse, exposées à l’ocytocine synthétique au cours du travail, ont un risque augmenté de 36% ( RR : 1,36 CI 95% :1,20-1,55)
  • Celles qui n’ont pas d’antécédents, exposées à l’ocytocine synthétique au cours du travail, ont un risque augmenté de 32% ( RR : 1,32 CI 95% :1,23-1,42)
  • Comparés aux non exposés à l’ocytocine de synthèse.

Les auteurs discutent leurs résultats notamment dans le sens où les femmes les plus à risque de dépression ou de troubles anxieux, sont peut-être aussi celles qui ont le plus besoin de l’ocytocine synthétique au cours du travail. Cependant, dans une étude récente ( Gu V. & al. 2016) il a été trouvé que la dose d’oxyctocine synthétique donnée au cours du travail et de l’accouchement était positivement corrélée aux niveaux endogènes d’ocytocine mais également aux symptômes dépressifs à 2 mois. Les auteurs suggèrent que l’administration d‘oxytocine synthétique au cours du per partum pourrait avoir des effets négatifs prolongés sur l’humeur des femmes, comme cela a déjà était démontré dans des études antérieures.

Les limites de l’étude :

Les effets de l’ocytocine synthétique sur le niveau d’ocytocine général n’ont pas été évalués. De fait, il n’a pas été possible de déterminer s’il existait une relation causale entre l’administration d’ocytocine synthétique au cours du travail et les troubles anxieux ou dépressifs.

En conclusion,

les auteurs soulignent que, s’il existe bien des discussions et des débats autour de l’utilisation de l’ocytocine synthétique en psychiatrie, il n’y en a pas, malheureusement en obstétrique, et rappellent qu’en 2014, 22% des naissances aux USA avaient eu lieu sous induction d’oxytocine synthétique, qui est l’un des médicaments les plus utilisés actuellement, alors que peu de recherches ont examiné les potentiels effets adverses sur l’humeur et l’anxiété en post-partum. Ils mettent en avant leurs résultats pour mettre en évidence le besoin de recherches supplémentaires, dans les contextes où l’ocytocine synthétique est utilisée de façon très fréquente, sur l’interaction de l’ocytocine synthétique et l’humeur maternelle, alors que l’OMS recommande que toutes les femmes en reçoivent dans le cadre de la prévention de l’hémorragie de la délivrance depuis 2012.

Il est utile de rappeler qu’en France, depuis décembre 2016, le collège des sages-femmes de France a mis a disposition des sages-femmes ses premières recommandations pour limiter l’utilisation de l’ocytocine synthétique en per partum. En effet, l’enquête périnatale de 2010, avait mis en évidence que près de 64% des femmes recevaient de l’ocytocine de synthèse au cours du travail, en dehors de la prévention ou du traitement de l’hémorragie de la délivrance (recommandée par l’OMS en 2012).

D’autres auteurs, présentent des pistes méthodiques pour stimuler la sécrétion endogène d’ocytcocine naturelle ( Ragusa A. 2015 ),  et diminuer ainsi à la fois le risque de dystocie, d’effets secondaires et le taux de césarienne.

Auteur : Laurence GIRARD