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Une revue récente de la littérature fait le point sur les dernières connaissances concernant :

  • les effets de la séparation précoce d’avec ses parents, et en particulier sa mère, pour le bébé hospitalisé à la naissance
  • le rôle de l’ocytocine
  • l’intérêt à impliquer les parents dans les soins à leur bébé, tous les soins, y compris les procédures potentiellement douloureuses, quand cela est possible

Filippa M, Poisbeau P, Mairesse J, et al. Pain, Parental Involvement, and Oxytocin in the Neonatal Intensive Care Unit. Front Psychol. 2019;10:715. (open access)

Les auteurs rappellent en préambule que si la survie des prématurés s’est considérablement améliorée au cours des deux dernières décennies, ils sont plus à risque que leurs homologues nés à terme de présenter des difficultés développementales. En cause, l’altération des processus de maturation cérébrale, entrainant parfois des lésions cérébrales accompagnées de paralysies, des déficits cognitifs, attentionnels et des troubles comportementaux à type d’hyperactivité ou d’autisme.

Au quotidien, les enfants prématurés hospitalisés, doivent pour faire face à l’environnement des unités de soins, activer leur système nerveux sympathique, et sécréter catécholamines et cortisol. Or cerveau et organes en subissent les effets délétères, quand ils y sont exposés de façon prolongée et/ou répétée. Ces effets délétères sont impliqués dans la survenue de pathologies graves chez le prématuré, telles que l’entérocolite-ulcéro-nécrosante, la broncho-dysplasie pulmonaire ou encore la rétinopathie, ainsi que des syndromes d’ordre digestifs. Des études suggèrent également que la maturation altérée du cerveau est au moins en partie la conséquence de l’environnement atypique dans lequel est placé le prématuré pour les soins, comportant notamment la survenue de douleurs physiques et la séparation d’avec sa mère.

Par ailleurs, il a été également bien établi que l’ocytocine est un protecteur cérébral contre les effets de ses hormones, appelées aussi « hormones du stress ».

L’ocytocine joue aussi un rôle pivot à la fois dans la perception de la douleur et dans la séparation mère-bébé, car elle est impliquée dans les processus d’attachement entre le bébé et sa mère et possède des propriétés analgésiques. Elle joue un rôle protecteur sur le cerveau vis à vis de l’action des autres hormones (cortisol et glucocorticoïdes) secondaires à des événements qui représentent un stressor pour le bébé, comme un soin potentiellement douloureux.

Cette revue examine les différents facteurs de risques pour le développement auxquels sont exposés les bébés prématurés en se focalisant sur l’impact à long terme des expériences douloureuses associées à la séparation mère-bébé précoce. Il est possible en effet que ces deux situations expérimentées de façon simultanée aient des effets délétères synergiques sur le développement. La prévention de ces situations pourrait par ailleurs avoir des effets cumulatifs positifs, à court et à long terme.

Que vivent les bébés prématurés hospitalisés sur le plan des procédures douloureuses et de la séparation d’avec leur mère ?

Les bébés prématurés hospitalisés sont exposés à un environnement qui diffère de façon drastique de l’environnement utérin : stimulations sensorielles excessives, et/ou perdant toute cohérence et signification biologique.

Par exemple, l’environnement sonore et sensoriel est caractérisé par :

  • des stimulations répétées de très basse ou de très haute fréquence, difficiles à gérer par le bébé, qui induisent des réponses homéostasiques de régulation – activation de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien, sécrétion de cortisol et de gluco-corticoïdes (voir précédemment) réduisant ainsi le bien être du bébé et perturbant son sommeil.
  • Le bébé a un accès limité à la voix maternelle et aux autres effluves sensorielles maternelles comme son odeur, le tocuher, …
  • Les procédures potentiellement douloureuses sont fréquentes.

La douleur a été définie ( Williams & Craig 2016) comme une expérience engendrant de la détresse, associée à des dommages cutanées effectifs ou potentiels, et possédant des composantes sensorielles, émotionnelles, cognitives et sociales. En France, la cohorte EPIPPAIN 1 conduite en 2005, a montré que chaque nouveau-né hospitalisé faisant l’expérience d’une procédure douloureuse en moyenne 10 fois par 24 h (Carbajal 2008) et varie dans des études internationales entre 7,5 à 17,3 procédures potentiellement douloureuses par 24 h ( Cruz & al. 2016). Les procédures douloureuses les plus courantes sont celles altérant le revêtement cutané ainsi que les aspirations nasales ou trachéales et l’utilisation d’analgésiques ou de sédatifs varie entre 0 et 100 % lors de ces procédures selon l’étude EUROPAIN menée en Europe (Carbajal & al. 2015). De plus, il faut aussi tenir compte du stress et de l’inconfort induits par des procédures même supposées non douloureuses comme le change de la couche, la prise de température ou les soins de bouche. L’exposition répétée à des odeurs irritantes pour le système olfactif (irritation trigéminale) comme c’est fréquemment le cas des produits utilisés dans les soins peuvent aussi engendrer des comportements et des réponses corticales douloureuses (Frie & al. 2018). Les soins de routine peuvent aussi potentialiser la douleur : par exemple une prise de sang immédiatement après la réfection de routine de l’incubateur peut engendrer une plus grande réponse douloureuse qu’une prise de sang après une période de repos.

La séparation précoce du bébé d’avec sa mère potentialise également les effets de la douleur.

L’accueil des parents au cours de l’hospitalisation de leur bébé est très variable dans les unités de néonatologie européennes, depuis la chambre familiale incluant cabinet de toilette et salon des parents à l’impossibilité d’avoir un fauteuil confortable près du bébé placé dans une salle commune. Il existe pourtant des preuves que pouvoir accueillir les parents pour la nuit prolonge le temps passé auprès de leur bébé (Raiskila 2017). La séparation constitue également une situation stressante pour les parents. De plus, lorsque le bébé est séparé au long cours de ses parents, il a des difficultés à s’accorder avec eux sur le plan comportemental : ceci renforce les difficultés des parents à prendre soin de lui.

Quelles sont les conséquences à long terme des procédures potentiellement douloureuses et de la séparation précoce d’avec la mère ?

Il existe des preuves que l’environnement de néonatologie peut interférer avec le neuro-développement et la croissance des enfants prématurés : le bruit excessif par exemple a des effets délétères sur le développement neuro-cognitif tout comme l’isolement et la déprivation sensorielle induits par l’incubateur et pourrait conduire à des désordres d’hyperactivité et de déficit attentionnel, avec des altérations des compétences précoces langagières. De plus, une plus grande exposition à des procédures douloureuses répétées conduit à des scores de développement cognitif plus faibles en âge scolaire (Vinall 2014).

La douleur non prévenue ou non traitée, chez le prématuré, peut affecter différents aspects du développement cérébral incluant la cognition, les réponses émotionnelles, et les fonctions motrices. Malheureusement, l’administration d’analgésiques est aussi associée à une altération des fonctions cognitives chez les enfants et une analgésie excessive au cours de situations non douloureuses peut avoir des effets délétères. Ainsi les stratégies de soin devrait-on tendre à réduire les expériences de douleur aigüe et l’utilisation non nécessaire d’analgésiques médicamenteux.

Un autre objectif des stratégies de soin est d’optimiser la capacité du bébé à faire face et à récupérer des procédures douloureuses. Il a été montré que la séparation précoce dans la vie entre le bébé hospitalisé et ses parents induit une moindre intimité entre le bébé et ses parents et une plus grande difficulté pour les parents à réguler les stress émotionnel de l’enfant à trois mois de vie (Provenzi 2017).

 Effets des procédures douloureuses et de la séparation d’avec la mère sur le système de l’ocytocine

 Bien que de nombreuses études aient établi un effet analgésique de l’ocytocine, nous ne savons que peu de choses que les effets potentiels des procédures douloureuses ou de la douleur chronique sur la régulation de l’ocytocine. Une étude montre que des enfants présentant des douleurs abdominales récurrentes d’origine psychosomatique ont des taux plasmatiques plus bas d’ocytocine et une sécrétion de cortisol plus élevée.

Une approche pour tenter d’évaluer l’impact sur le système à ocytocine de la douleur est d’analyser les conséquences des procédures douloureuses sur les niveaux de cortisol et l’activation de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien connus pour interférer avec le système à ocytocine. Par exemple, l’ocytocine peut inhiber le fonctionnement de l’axe hypoyhalamo-hypophyso-surrénalien à plusieurs niveaux au cours de la production de cortisol : au moment où la Corticotrophin releasing Hormon CRF est relarguée depuis l’hypothalamus, au moment où l’hormone adénocorticotrope (adrenocorticotrophine – ACTH ) est déversée dans le courant sanguin depuis le lobe antérieur de l’hypophyse ou encore au moment où le cortisol est relâché dans la circulation générale depuis le cortex médullaire de la glande surrénale. En retour, l’activation de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien pourrait induire une moindre sécrétion d’ocytocine, exposant potentiellement d’avantage le cerveau aux effets délétères de la douleur et réduisant aussi les possibilités de comportements sociaux du bébé et d’interactions gratifiantes pour les parents (Detillion & al. 2004).

 L’impact de la séparation précoce mère-bébé sur le système de l’ocytocine

La sensibilité aux comportements d’engagement relationnel du bébé est un facteur déterminant, et ce de façon critique, pour acquérir la capacité à prendre soin du bébé et lui répondre, dans la période particulière qui suit la naissance. La séparation précoce du bébé avec ses parents a un impact négatif sur les processus d’attachement. Toutefois, les liens entre la sensibilité aux signaux du bébé et le système de l’ocytocine sont encore incertains. Un ensemble d’études animales et humaines permettent toutefois d’envisager différents modèles pour répondre à cette question.

De nombreux chercheurs ont examiné l’impact du système de l’ocytocine sur le développement précoce des animaux nouveau-nés. Chez les ratons des périodes de séparation précoce mère-petit de plusieurs heures entrainant une réduction des soins maternels, affecte la régulation du système de l’ocytocine. Le petit qui reçoit moins de léchage et de toilettage de la part de sa mère, montre une diminution de l’expression des gènes responsables des récepteurs à ocytocine dans les régions hypothalamiques qui sont impliquées dans les soins de maternage. Cette diminution persiste jusqu’à l’âge adulte et peut même être transmise, si le raton est une femelle à la génération d’après : il s’agit d’une régulation épigénétique transgénérationnelle des comportements de maternage. De plus, le niveau d’expression des récepteurs à l’ocytocine est significativement plus élevé dans le noyau central de l’amygdale chez les femelles ayant bénéficié de soins maternels importants, et ce quelque soit leur statut reproductif, primipare ou multipare. D’autres études portant sur des rats et dont les résultats n’ont pas été vérifiés chez les humains, ont montré que ceux qui ont seulement subi de brèves séparations au cours de leur enfance ont de plus haut niveau d’expression des récepteurs à ocytocine que ceux qui ont reçu des soins maternels pauvres ou ont été séparés plus longtemps.

Des études chez l’être humain ont montré qu’après une période de contact avec les enfants, les niveaux salivaires d’ocytocine sont plus importants seulement pour les mères qui ont déjà des niveaux élevés de contact affectueux avec leur bébé, et les pères qui ont déjà des contact stimulants importants (Feldman 2010). Ce qui conduit à penser que des hauts niveaux de soins parentaux sont liés à des niveaux élevés d’ocytocine. Or le contact précoce après la naissance entre la mère et son bébé, le contact peau à peau à la naissance par exemple, conduisent à une plus grande production d’ocytocine chez les animaux et les êtres humains. L’administration d’ocytocine exogène dans l’amygdale augmente les compétences sociales des ratons nouveau-nés après la séparation et renverse les effets du stress prénatal. Une autre étude a montré que la séparation précoce induisait des comportements dépressifs chez les souris adultes mâles et que ces comportements étaient aussi associés avec une fonction mitochondriale anormale et des réponses immuno-inflammatoires de l’hippocampe, une partie très importante du cerveau émotionnel (Amini-Khoei 2017). Ces différences suggèrent que le système de l’ocytocine pourrait intervenir dans la régulation des effets négatifs de l’hospitalisation et promouvoir des comportements sociaux entre le bébé et ses parents.

Rôle de l’ocytocine dans la modulation de la douleur

Le rôle de l’ocytocine dans la modulation de la douleur est maintenant bien connu et son action emprunte plusieurs voies différentes incluant les nerfs périphériques, la moëlle épinière et le cerveau. L’injection d’ocytocine synthétique intranasale réduit les douleurs chez l’adulte : douleurs viscérales de l’intestin irritable, migraines… et ce, de façon doso-dépendante. De plus des études menées chez les humains ont montré que l’ocytocine avait également une influence sur la dimension émotionnelle de la douleur et on a proposé récemment que l’ocytocine puisse moduler le vécu de la douleur par son influence très grande sur l’état émotionnel, les capacités attentionnelles, et les interactions sociales. On a pu mettre en évidence des mécanismes centraux susceptibles d’impliquer l’ocytocine dans la régulation de la douleur ainsi que des mécanismes périphériques, par blocage par exemple des nocicepteurs.

Rôle de l’ocytocine dans le contact précoce et les procédures douloureuses

Effet de la présence parentale sur la gestion de la douleur

Une gestion optimale de la douleur requiert une évaluation précautionneuse et une combinaison d’actes préventifs et thérapeutiques par des méthodes pharmacologiques et/ou non pharmacologiques. Les interactions entre le bébé et son parent constituent une méthode non pharmacologique intéressante en vue de réduire la douleur chez les prématurés.

Il a déjà été démontré que certaines formes d’interactions parent-bébé telles que le peau à peau, la tétée au sein apportent un soulagement efficace aux procédures douloureuses de façon bien établie. Il a été montré très récemment (voir nos actualités de Septembre 2019) que le peau à peau était aussi efficace que la succion d’une solution sucrée fortement dosée et ce de façon répétée. Le peau à peau réduit non seulement la réponse comportementale à la douleur mais également la réponse corticale douloureuse lors d’une veinoponction (Olsson & al. 2016). La tétée au sein est efficace pour réduire la douleur lors de procédures moyennement douloureuses et le lait maternel semble aussi efficace que les solutions sucrées pour soulager les bébés nés à terme (Watterberg & al. 2016). L’odeur de la mère semble également réduire la douleur lors d’une ponction capillaire par lancette chez les nouveau-nés à terme et chez les prématurés. Ainsi les parents, et particulièrement la maman, peuvent soulager le bébé lors d’une procédure douloureuse, et favoriser une récupération plus rapide de l’état de base après la procédure.

Il est cependant nécessaire d’accompagner les parents pour les aider à développer des stratégies individuelles pour faire face à la détresse de leur bébé.

Les programmes de soins de développement peuvent aider à réduire le stress des parents d’enfants prématurés et les programme de soins de développement centrés sur la famille ont pour objectif d’adapter l’environnement sensoriel des nouveau-nés vulnérables à leurs capacités et attentes sensorielles et d’intégrer les parents comme étant les premiers donneurs de soins. Ainsi, ils sont le meilleur soutien au bien-être de leur enfant et à son développement et le lien se crée de fait.

La gestion de la douleur de l’enfant est une composante importante des soins centrés sur l’enfant et sa famille dont les bénéfices à court et long terme ont été bien démontrés. Cette approche holistique des soins peut venir soutenir la gestion de la douleur chez l’enfant au travers de l’architecture et du design de l’unité qui encourage la présence des parents auprès de leur bébé, une observation attentive du bébé, une importante implication des parents comme les premiers donneurs de soins à leur bébé, et l’utilisation coordonnée de méthodes non pharmacologiques pour soulager la douleur.

Des recherches ont comparé l’impact de chambres familiales accueillant les parents à une salle de soins commune à plusieurs bébés prématurés. Les prématurés hospitalisés en chambre familiale avec leurs parents subirent moins de procédures douloureuses que leurs homologues en chambre commune, reçurent plus de soins de la part de leurs parents et montraient moins de signes douloureux à l’échelle PIPP, lors de chaque tour de soin. Une évaluation précise et individualisée des signes de retrait ou d’approche au travers du programme NIDCAP permet une individualisation des procédures de soins avec un ajustement à la tolérance de chaque bébé.

Le premier objectif des soins de développement centrés sur l’enfant et sa famille est de diminuer les procédures systématiques et inutiles, et de soutenir en continue l’implication des parents dans les soins et l’évaluation de l’état de leur bébé. Ces programmes promeuvent aussi les opportunités d’agrippement et d’interactions entre les mains et la bouche qui favorisent l’autonomie du bébé. Ces stratégies de soins de développement peuvent réduire de façon efficace la douleur pendant et après les soins de routine. Une nouvelle échelle d’Evaluation des INterventions – EVIN proposée par Inga Warren – (Warren & al. 2016)- permet d’évaluer l’utilisation des stratégies non pharmacologiques pour réduire douleur et stress en néonatologie. Cette échelle interventionnelle peut aider les soignants à se remémorer différentes pratiques basées sur la preuve à implanter avant, pendant et après les soins de routine ou les procédures douloureuses, et peut potentiellement permettre de plus amples évaluation sur l’impact des soins de développement centrés sur l’enfant et sa famille dans la gestion de la douleur.

Suite à l’implantation du NIDCAP dans une unité néonatale hollandaise, une étude a montré que le nombre de procédures douloureuses par petit patient et par jour était moins important (Roofhooft et al. 2014). D’autres études ont également montré que l’implantation du programme NIDCAP a diminué les comportements relatifs au stress et à la douleur et l’utilisation de substances sédatives et d’opiacés. Prises toutes ensemble ces études montrent que la présence des parents est bénéfique à leur bébé, idéalement dans le contexte d’un programme de soins de développement centré sur la famille, tel que le NIDCAP, en ce qui concerne la gestion de la douleur.

Contact maternel et régulation de la sécrétion endogène de l’Ocytocine

L’effet le plus spectaculaire de l’ocytocine est la promotion de comportements pro-sociaux et cela est indirectement relié au fait que l’ocytocine est un protecteur cérébral puissant au cours du neuro-développement. Ainsi un lien puissant entre l’enfant et le parent soutient le développement de l’enfant et le protège des dangers du stress. Au cours des processus d’attachement, il y a une augmentation des comportements maternels types, tels que les vocalisations affectueuses et synchronisées entre le bébé et sa mère, des gazouillis et des caresses. Ces comportements modèlent l’enfant et sont aussi modelés par l’enfant. La réciprocité des interactions entre la mère et son bébé a des répercussions très importantes sur la structure du cerveau de l’enfant et en particulier sur ses compétences cognitives, sociales et émotionnelles, et peut fournir une protection contre le stress et la douleur à long terme.

Les comportements maternels envers le bébé sont intuitifs et sont régulés par les demandes de l’enfant. Les processus de création du lien et d’attachement ne sont pas des processus unilatéraux mais bien des processus qui impliquent de la réciprocité et qui se développent de façon bi-directionnelle. Les bébés sont modelés par les comportements maternels mais ils sollicitent aussi activement leur mère au cours des interactions. Cette sensibilité mutuelle entre mère et bébé conduit la mise en place du lien entre le bébé et sa mère et vice versa. La plupart des petits mammifères produisent une variété de comportements vers leur mère, qui stimulent toute une série de comportements maternels. Par exemple chez les rongeurs, les mères retrouvent leurs petits en utilisant des vocalises réciproques. La séparation entre le bébé et sa mère induit des modifications dans la réciprocité de la sensibilité mère-bébé et ces modifications sont médiées par le système à ocytocine. La sécrétion intra-cérébrale de l’ocytocine associée à d’autres mécanismes en est responsable.

 Association entre les niveaux d’ocytocine et les comportements de maternage

 Les taux plasmatiques d’ocytocine initialement stables chez la femme enceinte, augmentent progressivement au cours de la grossesse. Des taux élevés d’ocytocine chez la mère sont associés à l’expression des comportements de maternage aussitôt après la naissance (Feldman et al., 2007; Levine et al., 2007).

De façon plus spécifique, une augmentation des taux plasmatiques d’ocytocine entre le premier et le second trimestre est corrélée à la qualité du lien mère-enfant et des taux salivaires élevés d’ocytocine sont relevés quand les mères ont des contacts affectueux avec leurs enfants (Feldman et al., 2010). De façon similaire aux autres mammifères, l’ocytocine soutient la formation du lien chez les humains. En particulier, elle a un rôle dans les processus d’accordage parent-enfant, dans l’attachement des parents entre eux et avec l’enfant, dans l’engagement dans les interactions avec le bébé et l’endossage du rôle de parent. Recevoir des soins maternels appropriés augmente les niveaux de l’ocytocine chez l’enfant, ce qui retentit sur l’organisation cérébrale dans une période précoce de la vie. En particulier en permettant l’augmentation du nombre de récepteurs à ocytocine dans les aires centrales du cerveau dédiées au maternage et à la récompense qui en découle (Ross et Young, 2009). Les comportements de portage du petit sont associés à la régulation de la sécrétion d’ocytocine et les niveaux d’ocytocine augmentent chez les bébés et leurs mères quand les mères fournissent des soins de confort à leur bébé. Différents types de soins de maternage chez les mammifères (comme le léchage et le toilettage) sont associés à des niveaux élevés d’expression des récepteurs à ocytocine dans des aires du cerveau, connues pour réguler l’expression des comportements de maternage chez les rats (Francis et al., 2002).

A contrario, l’infusion dans les ventricules cérébraux d’un antagoniste sélectif à l’ocytocine chez les rats femelles rompt le développement des comportements spécifiques de maternage tels que le léchage des petits et la posture spécifique utilisée au cours de la tétée. Les ratons issus de mères exprimant peu de comportements de maternage deviennent anxieux une fois adulte, avec une hyperactivité de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrenalien. La modulation du comportement maternel peut également avoir un effet conditionnant sur le système à ocytocine de la progéniture. Ces études chez l’animal suggèrent que la promotion du système à ocytocine pourrait être une excellente stratégie pour prévenir les altérations du développement neurologique dues à une exposition précoce et prolongée au stress et à la douleur.

Le contact avec le parent pendant les procédures douloureuses de routine offre une protection en stimulant le système à ocytocine

Les premières expériences sociales peuvent influer sur les comportements sociaux à l’âge adulte en modifiant le système de l’ocytocine (Meaney, 2001). En particulier, les expériences de contact ou de séparation précoce ont des effets à long terme – voire transgénérationnels – en modulant le système à ocytocine comme nous l’avons déjà abordé précédemment.

Parallèlement, les expériences douloureuses précoces et répétées, en particulier chez le prématuré, induisent une sur-sensibilisation à long terme à la douleur et au stress, et ont des conséquences importantes sur les compétences sociales et affectives du bébé. Comme lors de la séparation précoce entre le bébé et sa mère, le système à ocytocine joue également un rôle crucial dans la réparation et la reconstruction de la résilience du bébé face à des stimuli douloureux. Ainsi, les soins maternels peuvent favoriser la sécrétion endogène de l’ocytocine et la résilience du bébé à l’hospitalisation.

Ces résultats suggèrent que les soins aux prématurés devraient envisager l’établissement d’une niche écologique appropriée pour promouvoir le développement du bébé (Browne, 2017) et l’administration de soins individualisés (Als et al., 2004), incluant la présence effective des parents. Un environnement proposant des interactions avec le parent au quotidien, active continuellement le système de l’ocytocine. Les interventions qui soutiennent l’engagement social, surtout lorsqu’il y a une diminution du contact mère-enfant en raison de la prématurité ou de la dépression post-partum (Feldman et al., 2010), peuvent avoir un impact positif sur le système à ocytocine du bébé et de sa mère et sur leurs compétences sociales et affectives mutuelles.

Effet du contact vocal précoce sur le stress et la douleur des nouveau-nés

Des recherches récentes ont montré que des interventions analgésiques non pharmacologiques, comme le soin kangourou, peuvent diminuer chez le nouveau-né, les effets délétères secondaires à une procédure douloureuse et à la séparation, en favorisant la sécrétion d’ocytocine. Il a été également démontré que la voix maternelle entraine une libération d’ocytocine. Ainsi voix maternelle et soin kangourou ont un effet sur la régulation des liens sociaux chez les humains.

Pendant et après l’exposition à une procédure douloureuse, les comportements vocaux protecteurs et consolateurs de la mère sont essentiels au rétablissement émotionnel du bébé, même si ces comportements n’ont pas d’impact direct sur l’origine de la douleur. L’ocytocine joue un rôle crucial dans ces comportements consolateurs (Burkett et al., 2016).

Effets potentiels d’un contact vocal précoce sur la régulation du système de l’ocytocine

À la lumière de ces études antérieures, le Contact Vocal Précoce (CVE) sous forme de paroles et de chansons prononcées par la mère en direct peut être une méthode efficace pour réduire la douleur chez les bébés qui subissent des interventions médicales. Le contact vocal précoce est une intervention précoce basée sur la famille avec un degré élevé de contact, dans laquelle les mères et les pères parlent et chantent intimement avec leur enfant prématuré (Filippa et al., 2017a, Filippa et al., 2017b). Ce contact vocal, associé au soin kangourou,  augmente la stabilité émotionnelle et du système nerveux autonome chez les enfants prématurés (Filippa et al., 2013) et réduit l’anxiété maternelle (Arnon et al., 2014). Le soutien d’un musicothérapeute peut faciliter l’engagement du bébé dans une musicalité communicative (Haslbeck, 2014) lorsqu’il entend des chansons spécifiques de parents, de type berceuses (Loewy, 2015).

Le contact vocal précoce, en tant que forme de contact musical vivant et dynamique, diminue la sensibilité du bébé aux stimuli douloureux. Le chant maternel est l’une des formes les plus répandues d’expériences musicales intuitives et enrichissantes chez les humains. Cette forme de communication omniprésente fournit au bébé des signaux sociaux. Il est parfaitement adapté aux besoins et aux attentes sensorielles du bébé. Le bébé n’est pas un récepteur passif, mais participe activement au jeu musical de façon réciproque. La musique peut influer sur les interactions sociales entre les humains, et Chanda et Levitin (2013) ont proposé que le système à ocytocine joue un rôle crucial dans cette réponse. Le contact vocal précoce est une méthode efficace car, en tant que vocalisation sociale, elle implique les émotions.

Le système à ocytocine et la reconnaissance des émotions vocales

Il est bien connu que la prosodie émotionnelle peut affecter la socialisation et la capacité des humains à déduire les états mentaux des autres, soit implicitement, soit explicitement (Grandjean et al., 2006). De nombreuses études ont montré que l’ocytocine joue un rôle crucial dans l’amélioration de la reconnaissance des émotions dans les vocalisations. Par exemple, l’administration intranasale d’ocytocine améliore la reconnaissance des émotions associées aux différentes expressions faciales (Domes et al., 2010 ; Shahrestani et al., 2013) et postures corporelles (Bernaerts et al., 2016). Tops & al. (2011) ont suggéré que les personnes qui présentent un polymorphisme spécifique des récepteurs à ocytocine (génotype GG, rs53576), dont la liaison à l’ocytocine est probablement plus forte, sont plus sensibles aux processus sociaux et ont moins de difficultés à entendre et à comprendre les gens en présence de bruits ambiants. De même, Hovey & al. (2018) ont montré que l’activation de la voie ocytocinergique, en particulier le gène ARNT2 (aryl hydrocarbon receptor nuclear translocator 2), est significativement associée à la capacité de reconnaître les émotions auditives et visuelles. D’autres recherches ont montré que l’administration nasale d’ocytocine augmentait spécifiquement la capacité à discerner les états émotionnels des autres, mais sans interférer sur les croyances de l’observateur. Hollander & al. (2007) ont signalé une meilleure reconnaissance des émotions dans les vocalisations après l’administration d’ocytocine à des patients atteints de troubles du spectre autistique. Ces résultats établissent donc des relations entre la communication vocale, les processus sociaux et le niveau d’ocytocine.

L’ocytocine est un neuroprotecteur pour le développement des enfants prématurés

Il est également prouvé que l’ocytocine agit comme un facteur neuroprotecteur direct pendant le développement du cerveau du bébé et il existe différents mécanismes moléculaires potentiels pour expliquer ce processus. Le cerveau du nouveau-né est particulièrement vulnérable aux dommages excitotoxiques, ce qui nécessite un équilibre entre la neurotransmission excitatrice et inhibitrice. L’ocytocine est responsable du « commutateur développemental », en ce sens qu’il produit des effets neuroprotecteurs et analgésiques critiques qui contrecarrent les dommages excitotoxiques postnatals (Ben-Ari, 2018).

L’ocytocine et l’inflammation en lien avec la restriction de croissance intra-utérine et la prématurité

Il a été montré, chez le rat, que les neurones à ocytocine du noyau paraventriculaire de l’hypothalamus coordonnent la libération périphérique et spinale de l’ocytocine et limitent les symptômes de douleur inflammatoire (Eliava et al., 2016). La prévention des douleurs inflammatoires par l’ocytocine peut être étendue à l’ensemble du système nerveux central, et peut être particulièrement pertinent dans le cas d’une naissance prématurée avec restriction de croissance intra-utérine. En effet, l’inflammation du système nerveux central joue un rôle crucial dans la pathophysiologie des lésions cérébrales périnatales pour ces bébés (Hagberg et al., 2012).

Conclusions et propositions pour la pratique

Les interactions sociales positives peuvent supprimer les systèmes physiologiques internes qui sont activés par le stress et stimuler d’autres systèmes internes qui atténuent le stress. L’ocytocine joue un rôle crucial dans l’atténuation du stress en renforçant l’effet tampon du soutien social sur la réaction au stress (Heinrichs et al., 2003). Les effets cumulatifs d’un contact maternel précoce et d’un niveau accru d’ocytocine peuvent protéger les bébés prématurés contre de nombreuses séquelles en lien avec la séparation maternelle précoce et les expériences douloureuses durant leurs premières semaines de vie au cours de l’hospitalisation. Dans ce contexte, la voix maternelle peut avoir un effet positif sur le rétablissement du nourrisson après des événements stressants (Seltzer et al., 2010). Le soin kangourou a quant à lui déjà démontré son efficacité lors des procédures douloureuses au travers de nombreuses études et méta-analyses (Johnston C. & al 2017, Campbell-Yeo 2019) et aussi son efficacité pour diminuer les séquelles liées à la naissance prématurée (Conde-Agudelo A, Díaz-Rossello JL 2016). La tétée au sein pour les bébés qui peuvent téter est également très efficace pour prévenir les comportements en lien avec une procédure potentiellement douloureuse (Carbajal & al. 2003, Shah PS & al. 2012)

En ce qui concerne le nouveau-né en maternité,

il apparaît nécessaire également de lui permettre de recevoir le soutien de ses parents lors d’un acte de routine, potentiellement douloureux, comme le Guthrie ou toute procédure potentiellement douloureuse… Tétée au sein pour les bébés allaités, peau à peau pour tous, présence vocale de la mère, enveloppement dans les mains chaudes des parents… Sans oublier de soutenir les parents de façon bienveillante pour leur permettre de trouver des stratégies de réconfort pour faire face à la détresse de leur bébé, si toutefois elle survenait malgré tout … Les accompagner à devenir parents dans tous les moments de la vie de leur enfant, en somme.

Effet possible du contact précoce et préalable sur les différentes phases de l’expérience de la douleur chez l’enfant prématuré et rôle du système de l’ocytocine :

Auteur : Laurence GIRARD