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Dans cette étude, menée dans une maternité IHAB du Nord de l’Italie – relabellisée en 2018, la qualité et la quantité du toucher au moment de la naissance par la mère et le père ont été analysées, ainsi que les interactions entre le bébé et sa mère, à 3 mois de vie. Une étude menée antérieurement avait déjà montré que la qualité des comportements maternels (contacts oculaires, observation détaillée de l’enfant, commentaires sur le nouveau-né…) dans la période immédiate suivant la naissance pouvait être un prédicteur significatif d’un lien d’attachement « confiant » entre le bébé et sa mère, à 12 mois de vie de l’enfant (Britton, Grondwaldt & Britton 2001). Cependant, aucune étude n’avait été menée sur la qualité et la qualité du toucher conjoint par la mère et par le père de leur nouveau-né dans la période qui suit immédiatement la naissance, et le développement des processus d’attachement dans le temps – ici à 3 mois. Cette publication vient apporter des éléments quantitatifs et qualitatifs non encore observés et améliore notre compréhension de la construction des liens d’attachement parents-bébé, ainsi que de l’importance de la qualité du toucher.

Le toucher est universellement reconnu comme la forme de communication la plus fondamentale et la plus primaire. Il a été montré par exemple que les mères touchaient leur enfant entre 55 à 99% du temps d’interactions, en fonction des cultures. Les parents utilisent le toucher pour prendre soin, consoler ou apporter du confort à leur bébé, lui montrer leur amour et leur affection autant que pour lui apporter des soins quotidiens, le porter, l’étreindre, le baigner, l’habiller, ou encore le nourrir… Le système somesthésique est l’un des plus précoces à se former au cours de la gestation, et dès 6 semaines, l’embryon humain peut déjà percevoir et répondre à des stimulations tactiles qui restent omniprésentes dans l’utérus au cours du développement foetal. Le toucher va rester le moyen privilégié pour entrer en contact avec le nouveau-né après la naissance et sa qualité va induire chez le bébé des réactions diverses allant de l’apaisement jusqu’à la désorganisation comportementale. La qualité et la quantité du toucher a ainsi un impact déterminant sur le neurodéveloppement et sur les processus d’attachement (Mantis, Mercuri, Stack & Field 2019)

La naissance constitue l’évènement le plus précaire de la vie, et le temps immédiat qui suit la naissance représente, sur les plans physiologique et psychique, une période critique, encore appelée « période sensible« , marquée par « le stress de naître« , stress co-régulé par le contact peau à peau immédiat avec le corps maternel (Bystrova K & al. 2003). Ce contact physique prolongé entre la mère et son bébé semble avoir une effet favorable et prolongé sur les capacités de régulation du stress du nouveau-né en agissant au coeur même de l’expression du génome, tandis que la séparation immédiate de la mère et de son bébé engendrerait des conséquences délétères pour le neuro-développement, à long terme, voir transgénérationnelles, par la modification de l’expression de certains gènes (épigénétique)(Csaszar-Nagy N & Bokkon I, 2018). Au moment de la naissance, les parents touchent profusément leur nouveau-né, sans même en avoir conscience parfois. Au travers de ce contact physique,  ils développent de puissantes connections physiques et émotionnelles avec leur bébé, fondatrices de leur relation. La mise au monde est également un évènement physiologique stressant pour la femme, soumise aux puissantes influences hormonales (adrénaline et noradrénaline, ocytocine…), mécaniques et émotionnelles du travail et de l’accouchement. Alors que la première heure de vie est une période critique, sensible, pour le nouveau-né, elle l’est aussi pour la mère et le père qui établissent un contact direct avec leur bébé pour la première fois. Le contact tactile avec leur bébé constitue un facilitateur vers leur entrée dans la parentalité au cours de cette période « maternellement et paternellement sensible ».

Les objectifs de l’étude :

  • Examiner comment les mères et les pères font usage du toucher au cours de leurs toutes premières interactions avec leur nouveau-né, quelles en sont les similarités et les différences
  • Evaluer s’il existe une corrélation entre les modalités du toucher maternel au moment de la naissance du bébé et à 3 mois de vie au cours d’une perturbation émotionnelle – stress – infligée de façon expérimentale à l’aide de la Still Face Experience ou « expérimentation du visage (maternel) impassible ».

Les objectifs de l’étude ont été élaborés de sorte à mettre en lumière dans 2 contextes d’interactions différents, l’un naturaliste – la naissance – et l’autre expérimental, tous deux représentants un stressor, l’un physiologique et l’autre social, les modalités et les fonctions du toucher parents-bébé et leurs liens.

22 couples hommes femmes,  tous de nationalité italienne, vivant ensemble, issus de classes sociales moyennes ou élevées, dont il s’agissait de la naissance de leur premier enfant commun (13 garçons et 9 filles), à terme, par voie basse, sans analgésie ont été inclus dans la première phase de l’étude au moment de la naissance, et dans la deuxième, trois mois plus tard ( âges des enfants compris entre 2,9 et 3,4 mois avec un enfant ayant 4,6 mois et aucun perdu de vue). Les observations ont été enregistrées par video.

Les résultats montrent que :

Au moment de la naissance (Temps 1), les comportements de toucher

  • différent de la part de la mère et du père, les mères ayant tendance à étreindre plus longuement leur bébé, le caresser, le masser d’avantage, le réinstaller, que les pères qui préfèrent glisser leur doigt dans la petite main du bébé ou lui souffler gentiment dessus, ce qui est dépendant peut-être au fait que le bébé est posé sur sa mère.
  • De plus, les pères montrent des comportements de toucher affectueux envers leurs compagnes tels que les réconforter et les apaiser, en même temps que d’accueillir leur bébé, ce qui les conduit à toucher de façon moins fréquente leur bébé
  • Les étreintes et les caresses sont les comportements les plus employés par les parents en proportion de temps passé à toucher le bébé,et les baisers les moins fréquents en durée par rapport aux autres comportements de massages ou de gestes pratiques « utilitaires »ou de simplement avoir la main poser sur le bébé (toucher statique).

A 3 mois de vie (Temps 2),

La fréquence de toucher maternel général (tous types de toucher confondus) pendant la période immédiate après la naissance (Temps 1) n’était pas prédictive de la fréquence de toucher général (tous types de toucher confondus) pendant les périodes d’interactions en début de procédure et au moment des retrouvailles lors de la procédure du visage maternel impassible (Temps 2).

En revanche, la fréquence du toucher maternel pendant la première heure après la naissance était prédictive de la fréquence du toucher spécifiquement au cours de la période de réunion de la procédure du visage impassible. Les mères qui touchaient d’avantage leur bébé au cours du post-partum immédiat étaient plus susceptibles de lui apporter des contacts tactiles affectueux et réconfortants lors du moment des retrouvailles.  Autrement dit, si le pourcentage total de toucher maternel immédiatement après la naissance était un prédicteur significatif des types de toucher affectueux et réconfortant au moment des retrouvailles, il n’était pas un prédicteur significatif des types de toucher affectueux et réconfortant pendant la période normale, ni un prédicteur significatif des types de toucher ludiques/stimulants pendant la période normale et la période des retrouvailles. Ces résultats suggèrent que les comportements de toucher des mères sont étroitement liés à la nature ou au contexte de l’interaction qu’elles ont avec leur bébé et soulignent les similitudes entre la période post-partum immédiate ( Temps 1) et la période de retrouvailles au temps 2.

Il semblerait que les mères qui touchaient globalement d’avantage leur bébé au moment de la naissance soient plus en capacité d’utiliser le toucher affectueux et réconfortant lors d’une situation de perturbation émotionnelle,  telle que l’induit la procédure du visage impassible, et plus à même d’élaborer des stratégies d’apaisement de leur bébé plus tard.

Conclusion des auteurs

Ces résultats contribuent à éclairer le développement d’interventions préventives et de programmes destinés aux parents concernant le contact physique précoce avec leur bébé. La nature prédictive du toucher maternel qui a été mise en évidence dans cette étude peut être utilisée pour aider au dépistage des mères qui manifestent peu de comportements de soins, d’apaisement ou de toucher affectueux, ou de celles qui manifestent un toucher inapproprié (c’est-à-dire des types de toucher intrusifs ou trop stimulants). Les avantages connus des comportements de toucher affectueux et apaisants ainsi que la prédictivité du toucher maternel soulignent l’importance des programmes d’intervention précoce en matière de toucher, en particulier lorsqu’ils s’adressent aux mères qui semblent utiliser le toucher de manière inefficace. Ces interventions et programmes devraient attirer l’attention des parents sur l’âge de leur nourrisson, le contexte de l’interaction et les différentes fonctions de certains types de toucher.
Par exemple, l’importance de la nature et de l’impact des comportements de toucher pour nourrir, apaiser et prodiguer de l’affection, de l’amour et du réconfort au bébé devraient être soulignée auprès des parents. Les mères doivent être sensibilisées au fait que des touchers intrusifs, tels que des petits coups ou des chatouillements brutaux, peuvent générer des émotions négatives et douloureuses pour l’enfant, et être informées du rôle crucial de la qualité toucher dans le développement de la régulation des émotions. Au cours du séjour en maternité ou de l’hospitalisation en néonatologie, il apparait alors essentiel d’éviter les séparations mère-bébé et proposer des programmes de soins permettant d’intégrer le contact physique et le toucher affectueux du bébé par ses parents comme un soin pour promouvoir le développement d’une relation soutenant à la fois le développement de la parentalité et du bébé.

Auteur : Laurence GIRARD