Dans une brève mais passionnante publication, parue en janvier 2017, en open access dans Journal of Perinatology, un groupe de chercheurs californiens a mesuré l’évolution post-natale des niveaux de neurostéroïdes*, chez des nouveau-nés à terme, suivant le mode de leur naissance, leur sexe et la durée des contacts peau à peau avec leurs parents au cours des 2 premiers jours de vie.
*Les neurostéroïdes sont sécrétés par des neurones et des cellules gliales dans les systèmes nerveux central et périphérique, et ont pour nom, par exemple, la déhydroépiandrostérone (DHEA), la prégnènolone (PREG), mais aussi la progestérone (PROG) … pour en savoir plus sur les neurostéroïdes –
En effet, le peau à peau a montré de multiples bénéfices, dont une maturation cérébrale accélérée et des capacités de régulation cognitive et émotionnelle améliorées dans l’enfance, pour les nouveau-nés en ayant bénéficié. Il y a toutefois peu de données concernant les mécanismes biologiques impliqués dans ces effets neuro-développementaux.
Ce que l’on sait :
On sait que les neurostéroïdes franchissent la barrière hémato-méningée et affectent le développement du cerveau et son fonctionnement en agissant directement sur les récepteurs des neuro-transmetteurs ou au travers de mécanismes épigénétiques.
Ils exercent des effets excitateurs ou au contraire, inhibiteurs sur la neurotransmission qui impactent, de façon clinique, le stress, la douleur, la mémoire, la cognition, les convulsions; ils peuvent aussi avoir un effet neuro-protecteur et neuro-régénérant.
Or, des observations vétérinaires récentes ont décrit que ces neurostéroïdes étaient à l’origine d’un syndrome neurologique chez les poulains nouveau-nés, appelé Neonatal Equine Maladjustement Syndrome ( NEMS), incluant des anomalies comportementales telles que des états de conscience altérés, une défaillance à établir un lien avec la mère, une défaillance à téter, un défaut de réponse normale vis à vis de l’environnement, une errance et une désorientation.
Ce syndrome peut être traité et résolu en médecine vétérinaire par une technique de compression thoracique à l’aide d’une suspension du poulain autour d’une corde, comparable selon les auteurs, à une étreinte maternelle, chez les humains.
Hypothèse de l’étude :
Les auteurs font l’hypothèse que le contact peau à peau après la naissance affecte l’évolution naturelle des niveaux de neurostéroïdes chez les nouveau-nés humains.
39 nouveau-nés à terme ont été inclus dans l’étude dont les parents ont enregistré la durée totale des épisodes de peau à peau au cours des 2 premiers jours de vie et 9 neurostéroïdes ont été testés sur des échantillons sanguins, à la naissance, à 1 et 2 jours de vie. Le poids de naissance médian était de 3383 g et l’âge gestationnel de 38,8 SA. 77% des nouveau-nés de l’échantillon étaient nés par césarienne dont 72%, de façon programmée, sans travail préalable. La durée totale des épisodes de peau à peau, au cours des 48 premières heures allait de 0 à 1530 minutes ( 0 à 25 h et demie ) avec une durée médiane de 346 minutes ( 5h trois quart) qui a servi de référence.
L’étude montre un déclin de tous les niveaux de neurostéroïdes testés dans les 2 jours qui suivent la naissance. Le mode d’accouchement affecte l’évolution de certains neurostéroïdes ( progestérone, 3β,5β-tetrahydroprogesterone et sulfate de prégnènolone) qui déclinent beaucoup plus vite lors d’une naissance par voie basse par comparaison à une naissance par césarienne.
La durée du contact peau à peau a un effet significatif sur les changements de prégnènolone dans tous les types de naissance, et sur la progestérone dans les naissances par voie basse, avec une tendance marquée vers un déclin d’autant plus important que la durée du peau à peau est plus longue.
Ces résultats fournissent un lien de causalité potentiel entre peau à peau et amélioration du devenir neuro-comportemental, via un effet du peau à peau sur la sécrétion de neurostéroïdes. Lors d’un stress aigu les niveaux de prégnènolone s’accroissent, cette hormone étant connue pour contrecarrer les effets délétères du stress. Ainsi le déclin important de prégnènolone dans les deux jours qui suivent la naissance chez les nouveau-nés les plus exposés au peau à peau pourrait refléter un stress moins intense ou une récupération plus rapide du stress infligé par la naissance, à ces bébés.
Les auteurs constatent que leurs résultats sont cohérents avec les résultats des études vétérinaires chez les poulains nouveau-nés présentant un NEMS. Les chevaux sont des animaux proie, et les poulains normaux sont rapidement debout et tètent dans les 2 à 3 heures qui suivent la naissance, tout en restant à proximité de leur mère pour qu’elle continue à les protéger. Les poulains qui présentent un syndrome neurologique NEMS ne parviennent pas à établir ces activités de façon appropriée, en dépit du fait que leurs mères aient des comportements normaux et tentent de s’attacher normalement à leur petit. Les poulains présentant un NEMS ont souvent expérimenté une naissance anormale : naissance rapide, dystocie ou césarienne, et montrent des dosages qui restent élevés pour 5 neurostéroïdes différents, comparés aux poulains normaux du même âge. Les vétérinaires les traitent en les comprimant à l’aide d’une corde, pour mimer les pressions exercées par la filière génitale, ce qui produit une rapide inversion des signes cliniques et diminue les niveaux de neurostéroïdes.
Chez les bébés humains, les auteurs constatent que 3 des 9 neurostéroïdes testés décroissent plus vite dans les 2 premiers jours quand le bébé est né par voie basse plutôt que par césarienne, ce qui est cohérent avec les observations vétérinaires. Leur hypothèse est que le peau à peau au cours des premiers jours de vie a des effets comparables à la technique de compression thoracique des poulains.
Les auteurs concluent que de nouvelles études portant sur des bébés malades et/ou prématurés pourront éclairer plus largement ces premiers résultats, très prometteurs.
Alors, du peau à peau de plus en plus précoce et de plus en plus long ? Même pour les bébés à terme ? Surtout s’ils sont nés par césarienne ? …
Auteur : Laurence GIRARD