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Dans cette publication portant sur la cohorte EPIPAGE 2, comprenant 3108 nouveau-nés très grands prématurés français, les auteurs ont souhaité décrire et analyser les facteurs associés avec l’allaitement des enfants prématurés à la sortie de l’hospitalisation, avec un accent particulier sur les politiques des services visant à soutenir l‘allaitement maternel du prématuré.

Les variables, intéressantes à retenir d’après la revue de la littérature, étaient  :

  • Peau à peau précoce au cours de la première semaine de vie 
  • Politique du service soutenant une initiation précoce de la lactation par une information systématique donnée aux femmes enceintes hospitalisées pour menace d’accouchement prématuré et une expression précoce du lait, dans les 6 heures suivant la naissance du bébé
  • Politique de service soutenant la poursuite de la lactation par une salle dédiée à l’expression de leur lait pour les mères
  • Présence de professionnels formés en lactation humaine dans les services 
  • Taux régionaux d’initiation de l’allaitement dans la population générale

Les associations entre variables ont été étudiées au moyen d’une analyse de régression logistique multivariée, avec ajustement en fonction des facteurs individuels.

Résumé des résultats

  • Au total, 47,2 % des bébés nés très grands prématurés recevaient à la sortie de l’hôpital du lait de leur mère avec une variation comprise entre 21,1 % et 84,0 % suivants les unités, les politiques de chaque unité expliquant en partie cette variation.
  • les bébés avaient plus de deux fois plus de chances d’être allaités à la sortie de l’hospitalisation si la pratique du soin kangourou/peau à peau précoce était instaurée dans l’unité  : OR ajusté de 2,26 (IC 95 % : 1,40, 3,65)
  • Les bébés avaient deux fois plus de chance d’être nourri avec du lait maternel à la fin de l’hospitalisation si une politique de soutien à l‘initiation précoce et à la poursuite de l’allaitement existait dans l’unité : OR ajusté de 2,03 (IC 95% : 1,27, 3,77)
  • Le taux d’allaitement maternel à la sortie des unités néonatales était indépendant du taux régional d’allaitement dans la population générale.

 

Contexte, résultats détaillés et discussion par les auteurs 

Population de l’étude
Parmi les 3 274 nourrissons très grands prématurés sortant vivants des unités néonatales françaises, 3 308 ont été inclus dans l’étude et on disposait de données concernant l’allaitement pour 2 890 d’entre eux.  Ces bébés ont été hospitalisés dans 103 centres périnatals, 66 dans des unités de soins intensifs néonatals de type III et 37 dans des unités de type IIb ; 44 % des bébés (1243/2828, données manquantes pour 62 nourrissons) ont été admis dans deux unités ou plus avant leur sortie de l’hôpital.

Parmi les 66 unités de type III, la médiane des nourrissons EPIPAGE-2 inclus par unité était de 40 (extrêmes 1-98) ; chacune des unités de soin de type IIb incluait moins de 50 nourrissons.

Les nourrissons pour lesquels il manquait des données sont nés plus souvent de mères dont l’IMC et le tabagisme avaient augmenté au cours de la grossesse ; ils n’étaient pas différents pour l’AG mais présentaient une morbidité néonatale plus importante, moins de soin peau à peau et faisaient partie d’unités où les politiques soutenant l’initiation précoce de la lactation étaient moins fréquentes.

Les mères ayant reçues une information sur l’allaitement en ante-natal :

  • ont initié la lactation pour 68 % d’entre elles (1859/2716, IC 95 % 67-70)
  • 47 % (1363/2890, IC 95 % 45-49) d’entre elles donnaient encore leur lait à leur bébé au moment de la sortie, avec des écarts variant de 21 % à 84 % entre les unités.

Parmi les nourrissons recevant du lait maternel au moment de la sortie de l’hôpital , 54 % (730/1363, IC 95 %, 51-57) étaient nourris exclusivement au lait maternel

les modalités d’administration du lait maternel étaient :

  • le sein (25 % ; 346/1363),
  • le sein et le biberon (55 % ; 750/1363),
  • le biberon (20 % ; 267/1363).

Dans l’ensemble, les unités de soins :

  • 91 % (94/103) des unités ont déclaré utiliser du lait de donneuse pour les nourrissons très grands prématurés dont la mère ne fournissait pas son propre lait  
  • 98 % des nourrissons ont reçu du lait80 % de lait issu de la mère ou de donneuse – par voie entérale dans les 3 jours
  •  Les tire-lait étaient disponibles dans 96 / 96 maternités ou unités néonatales (mais il manquait les données pour sept unités).
  • 34 % des unités (n = 35) n’avaient pas de politique soutenant l’initiation et la poursuite de l’allaitement maternel  (protocole allaitement maternel, salle d’expression du lait pour les mères)
  • 66 % des unités (n = 68)  avaient une politique d’allaitement maternel
  • 54 % des unités (n = 56) avaient au moins un professionnel formé en lactation humaine

–> sans temps dédié au soutien de l’allaitement pour 39 % des unités  (n = 22),

–> avec un temps partiel dédié à l’allaitement pour 38 % des unités  (n = 21)

–> avec un temps plein dédié à l’allaitement pour 23 % des unités (n = 13)

  •  53 % des unités (n = 55) ont suivi une formation en soins de développement. L’allaitement maternel  à la sortie de l’hôpital était plus important dans les unités disposant d’une politique de soutien à l’initiation et la poursuite de l’allaitement et d’une implantation du programme NIDCAP.

 Dans la population générale, le taux d’initiation de l’allaitement maternel dans les maternités françaises était de 69 % (IC, 95 % : 68-69 ; intervalle de 59 % à 84 % selon les régions). Les taux d’allaitement des enfants très grands prématurés ne semblaient pas corrélé aux taux régionaux d’allaitement.

Et le peau à peau ?

 La probabilité d’allaitement maternel à la sortie augmentait avec la pratique du soin peau à peau / kangourou.

Les taux d’allaitement maternel des très grands prématurés à la sortie de l’hôpital des premières cohortes EPIPAGE étaient de 19% en 1997, avec une augmentation en 2011 mais avec une grande variation déjà selon les unités.

Une telle variation a déjà été décrite dans la littérature avec des variations de 20 % à 90 % aux US et de 36 % à 80 % dans les pays scandinaves. Le soin peau à peau / kangourou est une des stratégies clés qui peut expliquer ces variations et que les unités doivent considérer, hautement recommandée pour soutenir l’attachement mais aussi l’allaitement.

Une  » dose  » élevée de soin kangourou étant associée à une atteinte précoce de l’allaitement exclusif au sein (Oras 2016). Une association positive entre soin kangourou et allaitement maternel au moment de la sortie est montrée également dans cette cohorte même si la donnée « dose » du soin kangourou n’est pas accessible.

Autres facteurs à prendre en considération

Plusieurs autres éléments de soins doivent être pris en compte lors de l’étude des facteurs associés à la décision éclairée d’allaitement maternel par la mère tels que les données relatives :

  • à l’établissement et au maintien de la lactation,
  • au stockage et à la manipulation du lait maternel,
  • à l’allaitement au lait humain,
  • à la succion non nutritive au sein, au passage du tube au sein, 
  • à l’utilisation d’alternatives au biberon ou non pour les bébés allaités,
  • A la présence des parents dans les unités et aux politiques d’accueil,
  • au soutien des mères entre elles,
  • au suivi approprié.

Cependant, recueillir ces informations complexes, au niveau des populations, constitue un réel problème. Dans le cadre d’une enquête européenne (Wilson 2018) les protocoles concernant le lait de donneuses et et le lait maternel, utilisés par les unités disposant du label Initiative Hôpitaux amis des bébés (IHAB), ont été considérés comme un moyen d’améliorer les taux d’allaitement maternel au moment de la sortie des unités par  » un environnement favorable à l’allaitement maternel « .

Dans notre étude, seulement 3 unités françaises (43 nourrissons inclus) étaient labellisées IHAB en 2011, mais

  • 89 % avaient des protocoles pour le lait humain et le lait maternel,
  • 91 % utilisaient du lait de donneuses pour les très grands prématurés  dont la mère ne fournissait pas de lait maternel
  • tous avaient des tire-lait.

Malgré cet  » environnement favorable « , la grande variation des taux d’allaitement maternel au moment de la sortie ( entre 21 et 84%)  suggère qu’une approche approfondie pourrait permettre de mieux la comprendre. En effet, aider les mères à fournir leur propre lait pendant toute la durée de leur séjour à l’unité de soins néonatals implique un changement de culture, potentiellement obtenu grâce à la labellisation IHAB, plutôt que de simplement avoir des protocoles et utiliser du lait de donneuse.

Initier la lactation avec succès est la première étape pour permettre un allaitement maternel au moment de la sortie du service et dépend de la cohérence du partage des informations avant et pendant la naissance ainsi qu’au moment de d’hospitalisation, par les différents professionnels. Ces facteurs ont été bien décrits dans les unités néonatales italiennes et on peut retrouver les mêmes résultats dans cette cohorte française.

Cependant, seulement 34 % des unités de soins intensifs néonatals françaises ont fait état de politiques soutenant l’initiation de la lactation. Concentrer les efforts, au niveau de l’unité, pour mieux soutenir cette étape cruciale peut contribuer à augmenter les taux d’allaitement maternel à la sortie de l’hôpital dans cette population très vulnérable.

Dans une étude antérieure sur une cohorte EPIPAGE 2 (Pierrat 2016), il a déjà été montré que la présence de professionnels formés en lactation humaine était associée à une augmentation de l’expression du lait maternel au cours de la première semaine de vie. Étonnamment, dans la présente étude, la disponibilité en unités de professionnels formés en lactation humaine n’était pas associée au taux d’allaitement maternel à la sortie. Nous avons considéré plusieurs hypothèses pour interpréter ce résultat. Premièrement, la présence de professionnels formés en lactation humaine peut avoir été trop hétérogène entre les unités, pour observer une association. Deuxièmement, nous n’avons pas été en mesure de décrire les stratégies éducatives de ces professionnels, la durée de leurs interventions et le soutien dont ils bénéficient de la part de l’institution. Troisièmement, l’allaitement maternel  est un processus complexe, et de nombreux changements dans les cultures des unités néonatales doivent être être mis en place, avant de voir les taux d’allaitement augmenter au moment de la sortie. Il est possible que les unités françaises soient au début d’un processus, car dans la première cohorte Epipage de 1997, aucune des unités ne disposait de professionnels formés à la lactation humaine. Ces hypothèses pourraient être explorées pour mieux comprendre l’influence de ces professionnels sur les taux d’allaitement maternel. 

Enfin, la transition de l’allaitement par sonde à l’allaitement au sein peut être considérée comme la dernière étape pour les bébés nés très grands prématurés. Elle intervient après plusieurs semaines d’hospitalisation et d’expression de son lait par la mère, et représente un défi pour les mères, les bébés et les équipes. Dans notre étude, seulement 25 % des bébés qui recevaient du lait maternel à la sortie de l’hôpital étaient allaités au sein. Le NIDCAP, basé sur l’observation du comportement des nourrissons, peut ajouter des compétences pour augmenter l’allaitement maternel au sein, mais le niveau de mise en œuvre dans les unités françaises était trop hétérogène pour tester cette hypothèse.

Une très belle publication qui permet à chaque équipe de néonatalogie de se situer et de faire des hypothèses sur l’amélioration possible de ces pratiques

Auteur : Laurence GIRARD